La soupe du soir et l'air du matin

La soupe du soir et l’air du matin.

Sans même un regard et sans se retourner

Il est parti un jour du pays où il est né 

Il n’avait en ce temps sachez aucun regret

Et il s’en est allé alors le coeur léger.

Il pensait que le monde avait tant à offrir

Il voulait plus que tout aller le découvrir 

Il étouffait ici et à n’en plus pouvoir

Entre l’air du matin et la soupe du soir.

Il allongea le pas bien plus qu’il ne devait

Pour montrer à quel point il en avait assez.

On le vit disparaître vite dans le lointain

Mais on ne l’oublia, c’était un bon gamin.

Personne n’eut de lui et pendant des années 

Aucun signe de vie, ni où il se trouvait.

Il n’était désormais dans les conversations 

Son souvenir aussi s’estompait des maisons.

Un beau jour arriva au bourg un inconnu

Qui paraissait bien vieux, certains diraient chenu

Il s’assit à l’auberge et commanda du vin

Et resta là assis, tout songeur dans son coin.

Au bout d’un long moment, n’en tenant vraiment plus

Un client de l’auberge dit au nouveau venu

Qu’est-ce qui vous amène par chez nous l’ami ?

Des étrangers c’est rare qu’ils viennent jusqu’ici.

L’homme leva la tête, esquissant un sourire 

Je vois rien n’a changé, je garde souvenir

De la méfiance qui est dans ce pays

Envers tout ce qui vient se perdre par ici.

Je suis né autrefois dans une rue pas loin

La rue St Jean je crois, sous un grenier à foin

J’ai longtemps partagé avec les gens du coin

La soupe du soir comme l’air du matin.

Aujourd’hui je reviens, j’ai parcouru le monde

J’ai pensé que ailleurs c’était mieux qu’à la ronde.

Mais j’ai trouvé partout des hommes un peu mesquins

Des gredins malandrins, voire des assassins.

Alors je me suis dis qu’il ne servait à rien

D’aller chercher ailleurs un mieux plutôt qu’un bien.

J’ai choisi de finir mes jours parmi les miens

Je ne suis après tout moi aussi qu’un vaurien.

La nouvelle aussitôt fit le tour du village

On apprit qui c’était des gens d’assez grand âge.

Ainsi le fils prodigue était-il de retour

Ce fut un grand sujet à partir de ce jour.

Ainsi se referma le pays et l’histoire 

Il ne sert à grand chose d’aller chercher la gloire

Ailleurs que par ici où chacun est si bien

De la soupe du soir jusqu’à l’air du matin.

Pierre-Jean BOUTET